Professionnaliser la formation continue en Thérapie Manuelle
Au niveau international, la formation continue des kinésithérapeutes s’est progressivement professionnalisée au fil du temps. L’évolution pourra être simplement décrite comme cette succession d’étapes :

1. Développement d’un cours par un kinésithérapeute "expert" d’un sujet.
2. Développement d’un support de cours écrit pour mettre à plat le contenu de la formation.
3. Développement d’un groupe d’enseignants qui est apte à enseigner tout ou partie du cours.
4. Mise en place d’un système d’examen ou de contrôle des compétences obtenues au cours de la formation.
5. Organisation de réunions de mise à jour du support de cours.
6. Organisation de réunions de mise à niveau/sélection des enseignants.
7. Reconnaissance du programme de formation par un tiers externe au groupe.
8. Evaluation qualité externe par audit (fondé sur une auto-évaluation sur le fond et la forme et audit par des pairs. Pas de contrôle ISO dans l’enseignement !).
9. Reconnaissance des examens par des tiers extérieurs au groupe.
10. Reconnaissance universitaire d’un degré universitaire.
11. Intégration universitaire nationale.
12. Production de travaux cliniques de haute qualité
13. Reconnaissance de spécialisation avec des compléments à réaliser par rapport au master (Fellowship) et actualisation périodique (par exemple tous les 10 ans).
14. Reconnaissance internationale de la formation.

En France, n’importe quel kinésithérapeute peut créer "sa méthode" et ouvrir une formation de Thérapie Manuelle. Certains vont même assister à des cours et reprennent à leurs comptes contenu, iconographie, anecdotes de formation sans aucune demande de copyright (ou de compétences ?). Certains enseignants sont parfois remarquable mais isolés et travaillent en solo avec une perspective non pérenne. La formation est en générale dépendante de 2 ou 3 personnes et l’équipe enseignante est cooptée pour donner les cours. A la disparition de ces leaders, le système s’effondre ou part en déliquescence.

Concernant la Formation en Thérapie Manuelle Orthopédique, il est intéressant d’observer que dans les pays développés, les critères d’exigence sont progressivement augmentés. Ainsi pour être enseignant, il faut valider une formation universitaire (au moins master et cela tend vers le doctorat) et la sélection pour enseigner devient de plus en plus dure car le nombre de candidats augmente. Un bon exemple est la formation Maitland en Europe qui a augmenté ses critères d’exigence pour enseigner à un niveau très élevé (voir le site de l’IMTA) et leur programme pour les enseignants à télécharger en colonne de droite. Il n’existe à ce jour que 2 intervenants suisses capable d’enseigner en français alors qu’ils sont nombreux dans chaque pays.

Les effets indirects de la non-reconnaissance du Diplôme d’Etat à un niveau universitaire est un frein au développement d’un corps enseignants universitaires post-gradués de kinésithérapeutes français. Car pour obtenir un Master, il faut avoir au moins une licence universitaire !
Les premières cohortes de kinésithérapeutes diplômés universitaires français ne verront pas le jour avant 2017 ou 2018. Et l’obtention de masters structurés en Thérapie Manuelle "made in France" ne pourra pas émerger mathématiquement avant 2020 (dans un monde idéal !). Sans parler de la question de l’ostéopathie qui cherche déjà à faire reconnaître sa formation en 5 ans en France (pour quels buts d’après vous ?). Alors que dans tous les pays développés, l’ostéopathie peine à faire son entrée à l’Université; elle profite du marasme universitaire kinésithérapique pour occuper un territoire qui devrait largement être partagé par d’autres approches.

Les différents gouvernements et "conseillers médicaux" sur le sujet vivent dans la "bulle franco-française" de "l’ostéopathie à la française" dans laquelle ils résument la Thérapie Manuelle.
Leur vision internationale limitée ne permet pas de répondre au contexte actuel et ne permet pas à la France de suivre le courant des pays avancés sur le sujet. Il existe 4 "écoles" d’ostéopathie en Grande-Bretagne (pour une cinquantaine d’universités où est enseigné la kinésithérapie).
En France, nous entrons dans un système loufoque où plus de 60 écoles existent, soit plus de 80% de l’ensemble des formations mondiales d’ostéopathie. Les décisions politiques sur ce sujet (fondées sur une décharge des coûts de la santé "kiné" vers les mutuelles des "ostéos") vont entraîner des effets pervers en terme de Santé Publique et de qualité des soins (diffusion d’idées plus ou moins crédibles sur les problèmes qu’auraient le patient, etc.). Alors que les pays développés cherchent à diffuser leur savoir dans le monde et produisent des connaissances scientifiques et cliniques dans le champ de la Thérapie Manuelle Orthopédique, quelle est la part de production du système français et sa reconnaissance internationale ? Quel est le bénéfice en terme de Santé Publique de ces décisions politiques dans ce domaine ? Qui est responsable de l’évaluer ? Qui pilote ? Quelle indépendance pour les prises de décisions ?

En mai 2013, va s’ouvrir en France la formation complète de Maitland reconnu par l’International Maitland Teachers Association. Elle va permettre de former des thérapeutes manuels orthopédiques dont le diplôme est reconnu dans une grande partie des pays européens avec un support de cours construits par des enseignants de différents pays européens. C’est une des formations les plus reconnues en Europe. Une équivalence universitaire est en cours d’obtention avec une université européenne. Certains jeunes motivés seront sans doute les enseignants de demain pour la France dans ce domaine. Ils feront leur place, car ils vont dans le sens du développement et vont modifier les usages. L’avenir est au développement de programmes reconnus dans le monde. Aux kinésithérapeutes français de travailler dans ce sens en cherchant à structurer leurs enseignements et à le faire reconnaître par d’autres groupes…

Déclaration potentiel d’intérêts : Directeur d’un centre de formation continue : Kpten.
Président du comité des experts de l’évaluation qualité externe de l’enseignement en kinésithérapie en communauté française de Belgique : http://www.aeqes.be/references_experts_cv.cfm?experts_id=23