Ceux qui étaient nés et cortiqués en 2016 n’auront sans doute pas échappé au phénomène mondial Pokemon GO où le but était basiquement de se balader dans la rue avec un téléphone portable et 4 batteries externes de secours pour rejoindre des points GPS dans les rues pour y “capturer” des pokémons, des créatures numériques inventées dans le seul but de vider le porte-monnaie de ma mère quand j’étais plus jeune.

Pourquoi s’appuyer sur un jeu pour enfants de 0 à 237 ans pour expliquer à quoi servent les essais cliniques alors qu’il y a moults exemples plus concrets pour un kiné ? Et bien c’est simple, contrairement au corps humain, l’application Pokemon GO a un code source, c’est à dire que tous les évènements survenant dans le jeu ont été écrits par des êtres humains, ce qui nous permet de savoir avec exactitude si les “découvertes” étaient réelles ou non.

Le problème des oeufs :

À la sortie du jeu, les joueurs ont remarqué quelque chose d’étrange. Dans certains points stratégiques, il était possible de récupérer des oeufs qui, après un certain nombre de kilomètres, éclosaient pour enrichir la liste de pokémons ou se faire déchiqueter en petit morceaux pour devenir un bonbon.

Mais tout ne marchait pas normalement, en fait, les kilomètres parcourus n’étaient décomptés que lorsque le joueur marchait ou dans de rares cas à vélo, en bus ou en voiture.
Ainsi, beaucoup de joueurs se mirent en quête de l’explication afin d’optimiser leurs heures passées sur le jeu.

La grande théorie de l’accéléromètre :

Certains malins ont remarqué que lorsqu’ils tenaient leur téléphone dans les mains à vélo, le parcours était beaucoup plus comptabilisé que lorsqu’ils ne le tenaient pas. S’en est suivi l’élaboration d’une théorie :

L’application est à la base conçue pour se déplacer à pieds, et si les développeurs du jeu avaient implémenté une sorte de compteurs de pas grâce à l’accéléromètre (une puce qui sert à connaître la position du smartphone par rapport au champ magnétique terrestre, c’est à dire le sol).

Des Gogo (surnom des joueurs de Pokemon GO) ont donc décidé de se ridiculiser dans les transports en commun en essayant de secouer leur smartphone pour qu’il y ait des variations similaires à celles quand on marche.
D’autres, plus dangereux qu’idiots, se sont mis à tenir leurs smartphones dans les mains à vélo en surveillant l’écran.

Cela semblait marcher un peu mais pas à chaque fois. Beaucoup ont cherché la bonne technique et différentes variantes virent le jour.

La réalité :

Un petit malin a décidé de hacker le code source de Niantic Labs (les développeurs du jeu) pour y trouver les formules mathématiques qui régissaient le jeu. Et là ce fut la désillusion. L’application ne comptait pas les kilomètres lorsque les joueurs dépassaient les 18 km/h. Cela n’avait donc aucun rapport avec l’accéléromètre.

Comment un essai contrôlé aurait pu empêcher cela ?

Et bien si on avait pris 60 joueurs qui se déplaçaient en bus sur un même trajet, 30 en secouant leur téléphone, 30 avec le téléphone rangé dans leur sac, on aurait pu, par une analyse statistique mettre en évidence l’absence de différence de kilomètres entre les deux techniques (en supposant qu’on ne se trouve pas dans les 5% de cas où on trouve une différence uniquement par hasard).
En multipliant les essais, on aurait fini par être sûr que ça ne servait à rien de secouer son téléphone.

“Mais n’aurait-on pas pu le faire avec une seule personne, sans avoir besoin de conduire un essai clinique avec 60 personnes !”

Oui et non. Imaginons que par hasard, le bus conduise plus vite lors de l’essai avec le téléphone dans le sac, on aurait trouvé une différence alors qu’il n’y en avait pas. Il aurait alors fallu multiplier les essais pour s’assurer du résultat. Il y aurait encore fallu s’assurer que le problème ne vienne pas du joueur qui est mauvais pour secouer.

“Mais pour celui à vélo ?”

Et oui, à vélo, la personne qui tenait le smartphone dans les mains pédalait moins vite que celle qui roulait avec les deux mains sur le guidon. On aurait donc probablement trouvé une différence en essai clinique. C’est le problème des biais dans les essais. Mais on aurait probablement eu un effet un peu faible car une partie des cyclistes Gogo avec les deux mains sur le guidon continuent de rouler à moins de 18 km/h sur des portions de route.

Mais en multipliant les situations, en cherchant à isoler les sous-groupes répondant à la technique (ici les cyclistes, pas les passagers en voiture, ou ceux se déplaçant en transport en commun) on aurait probablement fini, après de longues années d’expérimentations à montrer que tenir le smartphone dans la main n’était pas la raison qui permettait de faire éclore les oeufs.

Ceux qui auraient bâties toutes leurs croyances dessus, auraient sans doute continué quand même (d’ailleurs, certains ont continué, n’ayant pas confiance dans les informations diffusées).

Mais ça arrive en kinésithérapie ?

Oui, cela arrive. L’exemple le plus criant est très certainement la théorie du conflit sous-acromial de Neer en 1972, encore couramment utilisée pour expliquer les présentations cliniques de l’épaule douloureuse. L’idée est que selon lui, 95% des tendinopathies du supra-épineux viendraient de sa compression entre la tête de l’humérus et l’arc coraco-acromial (2).

Pourtant cette théorie a pris beaucoup de plomb dans l’aile pour plusieurs raisons :

– La localisation de la majorité des lésions du supra-épineux ne correspond pas à celle d’un conflit (3),

– La forme de l’acromion pourrait être une conséquence de l’inflammation et non la cause des lésions (4),

– Faire une acromioplastie en plus d’une bursectomie n’améliore pas les résultats par rapport à la bursectomie seule même 14 ans après (4) et

– Le conflit semble intervenir chez la totalité des individus (5).

Ainsi depuis 1972, plusieurs techniques de kinésithérapie ont vu le jour pour limiter le conflit (exercices de centrage de la tête humérale, exercices de correction de la position de la scapula,…) mais sans montrer de résultats significativement supérieurs à d’autres exercices (6).

Faire des essais contrôlés randomisés de la chirurgie dès 1972 aurait permis d’éviter ces quelques 40 années d’errance. Tout comme des essais contrôlés des exercices de kinésithérapie.

Références bibliographiques :

(1) Barde-Cabusson Y, « Soulager tous vos patients grâce à la méthode Bidule-Chouette™ ! », Kinésithérapie, la Revue, Volume 15, Issue 158, 2015, Page 17 http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2014.11.018.

(2) Neer CS. « Impingement lesions. » Clinical orthopaedics and related research. 1983;173:70-77

(3) Ogata S, Uhthoff HK. » Acromial enthesopathy and rotator cuff tear. A radiologic and postmortem investigation of the coracoacromial arch. » Clin Orthop 1990; 254:39-48

(4) Kolk A et al. « Does acromioplasty result in favorable clinical and radiologic outcomes in the management of chronic subacromial pain syndrome? A double-blinded randomized clinical trial with 9 to 14 years’ follow-up », Journal of Shoulder and Elbow Surgery, https://doi.org/10.1016/j.jse.2017.03.021.

(5) Papadonikolakis et al. « Published Evidence Relevant to the Diagnosis of Impingement Syndrome of the Shoulder » The Journal of Bone & Joint Surgery. 93(19):1827–1832, OCT 2011, https://doi.org/10.2106/JBJS.J.01748

(6) Shire, A. R., Stæhr, T. A. B., Overby, J. B., Bastholm Dahl, M., Sandell Jacobsen, J., & Høyrup Christiansen, D. (2017). Specific or general exercise strategy for subacromial impingement syndrome–does it matter? A systematic literature review and meta analysis. BMC Musculoskeletal Disorders, 18, 158. http://doi.org/10.1186/s12891-017-1518-0