Expliquer la douleur (1)
Vous avez l’habitude de passer du temps à expliquer à vos patients pourquoi ils ont mal et comment fonctionne la douleur. Certains comprennent vite et commencent à se poser les bonnes questions alors que d’autres restent obnubilés par la zone où ils ont mal et se focalisent sur une structure en particulier (par exemple, la protrusion du disque « bouc émissaire » vue à l’IRM). Enfin, d’autres patients vous donnent l’impression de comprendre chacune de vos explications mais ne parviennent pas à les rassembler pour intégrer l’entièreté du phénomène douloureux. Pourquoi de telles différences ?

Pour de nombreux spécialistes des sciences cognitives et de l’éducation comme M.T.H. Chi, il semble que les mécanismes dits « linéaires » soient plus faciles à comprendre que ceux qualifiés d’« émergents ».

Dans les processus linéaires (ou directs), une ou plusieurs interaction(s) d’agent(s) peut causer directement ou indirectement le pattern observable. Le pattern est donc la conséquence de l’addition ou de l’enchaînement d’une séquence de sous-événements. On a donc un événement initiateur qui déclenche le processus (ce dernier dispose souvent d’un agent central qui contrôle le processus lui même et prend des décisions ; on dit que cet agent a un statut spécial). Il existe aussi une série d’interactions qui surviennent séquentiellement pour atteindre un but. Ces interactions sont logiquement corrélées et sont intentionnellement entreprises pour atteindre un objectif. Elles se terminent quand le but est atteint. Quelques exemples : les contes pour enfant, la digestion, la cicatrisation tissulaire, les phases lunaires, etc.

Dans les processus émergents, ce sont les interactions de l’ensemble des agents qui causent le pattern observable. Ici, tous les agents ont un statut identique par rapport au processus (il n’y a pas de dominance d’un agent ou d’un groupe d’agents qui auraient plus de contrôle sur les autres). Les interactions des agents peuvent survenir pour satisfaire uniquement des objectifs locaux sans intention de changer l’ensemble du pattern. Quelques exemples : les molécules d’eau formant les nuages, la diffusion de l’encre dans l’eau, une nuée d’insectes, etc.

Parmi les raisons qui pourraient expliquer notre difficulté à appréhender les processus émergents, on retrouve le fait que notre éducation utilise largement les patterns linéaires et ce, dès le plus jeune âge. Ils nous paraissent ainsi plus simples et plus logiques. La méconnaissance de l’existence des patterns émergents couplée à la « facilité » apparente d’utilisation des patterns linéaires pour expliquer un phénomène peut conduire à une mauvaise compréhension de celui-ci.

Comment transposer ces données théoriques à notre approche éducative avec le patient ?

Réponse non exhaustive à suivre …

REFERENCES

Chi, M. T. H., R. D. Roscoe, et al. (2011). “Misconceived causal explanations for emergent processes.” Cognitive Science 36: 1-61.

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