Extrait d’une conversation pas très fictive de cabinet entre un patient et son thérapeute. Et nous voici finalement face à un problème de taille : les patients consultent majoritairement nos cabinets pour des problèmes de douleur.

Deux paramètres semblent intéresser le patient en priorité : la présence de la douleur et son intensité. Ces deux entités concernent seulement la dimension physique de la douleur et vont limiter les objectifs du patient (et les résultats!). Il n’est alors pas étonnant qu’il donne la priorité, en termes d’objectifs, à l’abolition ("présence de") ou au soulagement ("l’intensité de") de la douleur. La question de savoir quoi faire de l’intensité de la douleur du patient chronique fait l’objet de plusieurs papiers reportant notamment les dérives de l’utilisation des opioïdes (particulièrement les morphiniques) dans les douleurs chroniques non cancéreuses (1, 2, 3). Il n’est pas possible de prendre en charge l’intensité de la douleur dans une condition chronique comme on la managerait dans une situation aiguë ou en fin de vie. Il faut se rendre à l’évidence : les meilleurs traitements dont nous disposons pour les douleurs chroniques n’ont que peu d’impact sur l’intensité de la douleur (temps d’action long pour une amélioration substantielle).

L’article de Coluzzi & Berti (4), plutôt destiné aux médecins (orientation médicamenteuse), propose trois pistes pour pallier à cette problématique :
– Promouvoir une communication interactive entre patient et thérapeute plutôt qu’une information unilatérale ;
– Identifier des objectifs thérapeutiques permettant un équilibre entre la réduction de la douleur et la survenue d’effets secondaires ;
– Adopter des thérapeutiques médicamenteuses basées sur les mécanismes pathogéniques de la douleur plutôt que sur la seule intensité douloureuse.

En physiothérapie, si on considère la recherche UNIQUE du soulagement de l’intensité de la douleur du patient chronique comme un cercle vicieux perpétuant sa problématique, les idées suivantes pourraient lui venir en aide :

– Concernant "l’objectif douleur" du patient : l’intensité est un paramètre parmi d’autres : questionner le patient pour savoir s’il préfère une crise par mois à 8/10 ou 10 crises à 5/10 ? Il faut parler du nombre de crises douloureuses en moyenne sur une durée donnée, quel espacement entre les crises, la durée de ces crises, le caractère « déplaisant » de cette douleur (les échelles qui cotent l’intensité comme l’EVA ne se superposent pas aux échelles cotant le caractère dit « déplaisant » de la douleur), etc.

"L’objectif douleur" ne doit PAS être le SEUL objectif ! Il faut pousser le patient à considérer d’autres buts comme avoir :
o Un "objectif fonction" : apprendre à contrôler les conséquences de la douleur sur sa vie (par exemple en utilisant le levier de l’activité physique)
o Un "objectif signification" : comprendre le "pourquoi ses douleurs" notamment pour gérer l’anxiété/la peur-évitement, etc. (en utilisant des outils éducatifs)
o Un "objectif émotionnel" : prendre du recul émotionnellement avec la fluctuation de l’intensité douloureuse (en utilisant par exemple des outils de thérapies cognitivo-comportmentales comme l’ACT ou le mindfullness, etc.)

– Il est possible (mais pas certain) que l’intensité de la douleur finisse par baisser si le patient s’engage dans les objectifs ci-dessus : donc il faut permettre au patient de garder espoir !

En résumé, les thérapeutes comme les patients doivent "entendre" qu’il est impossible de réduire l’expérience douloureuse à sa seule intensité (une mesure quantitative bien incapable de capturer la souffrance du patient) : comme le mentionne Ballantyne & Sullivan (3) :

"nothing is more revealing or therapeutic than a conversation between a patient and a clinician, which allows the patient to be heard and the clinician to appreciate the patient’s experiences and offer empathy, encouragement, mentorship, and hope"

("rien n’est plus instructif ou thérapeutique qu’une conversation entre un patient et un clinicien, qui permet au patient d’être écouté et au clinicien d’apprécier les expériences du patient et d’offrir son empathie, ses encouragements, son mentorat et de l’espoir")

Références

(1) Franck Henry. Diminuer l’intensité d’une douleur chronique : « what’else » ? Douleurs : Evaluation – Diagnostic – Traitement. Volume 17, Issue 1, Pages e1-e2, 1-44 (February 2016) Pages 41-42.
En accès libre ici

(2) Sullivan MD, Ballantyne JC. Must we reduce pain intensity to treat chronic pain? Pain. 2016 Jan;157(1):65-9.

(3) Ballantyne JC, Sullivan MD. Intensity of Chronic Pain–The Wrong Metric? N Engl J Med. 2015 Nov 26;373(22):2098-9. doi: 10.1056/NEJMp1507136.
En accès libre ici

(4) Coluzzi F, Berti M. Change Pain: changing the approach to chronic pain. Minerva Med. 2011 Aug;102(4):289-307.