Interaction du traitement et du placebo
Le rituel thérapeutique déclenche une grande variété d’événements biologiques dans le cerveau du patient et son état psychologique (anxiété, croyances, attente de bénéfices d’une thérapie, etc.) peut interférer avec l’action du traitement (1). Quand le traitement (médicamenteux) et l’effet placebo (dans notre cas lié à cette attente de bénéfices) partage le même mécanisme d’action, il peut exister une interaction entre les deux (hypothèse de compétitivité des neurotransmetteurs vis-à-vis de certains récepteurs).

Deux problématiques se posent alors : comment mesurer correctement les résultats du traitement et comment interpréter ces données en terme de mécanismes d’action ? Dans nos essais cliniques, la différence de résultat entre le groupe « traitement » et le groupe « placebo » est censée mesurer l’efficacité intrinsèque dudit traitement. Le problème c’est qu’on pense trop souvent que le placebo agit isolément en sus de l’effet propre du traitement. Petite démonstration si vous n’avez pas tout compris :

En 1995, Benedetti étudie l’efficacité du proglumide en tant qu’analgésique potentiel dans la prise en charge de la douleur post-opératoire (2). Il utilise un essai clinique randomisé en double aveugle à quatre bras : un groupe dit « sans traitement » reçoit une injection « cachée » (effectuée derrière un champ opératoire) d’une solution saline, un groupe dit « masqué » reçoit une injection cachée de proglumide, un groupe dit « placebo » reçoit une injection à vue de solution saline et une indication verbale lui signifiant que son contenu est un analgésique, et enfin un dernier groupe reçoit une injection à vue de proglumide avec une indication verbale lui signifiant que son contenu est un analgésique.

Si on ne tient pas compte du bras où l’injection du proglumide est cachée, les résultats montrent que le groupe « proglumide » obtient une meilleure antalgie que le groupe « placebo » qui lui-même obtient une meilleure antalgie que le groupe « sans traitement ». La conclusion (erronée) est alors : le proglumide est un bon analgésique avec un probable mécanisme d’action sur « les voies de la douleur » (l’amélioration du groupe placebo dépendant de l’attente des bénéfices du traitement).

Si on tient compte du bras avec l’injection cachée, il n’existe plus aucune différence entre le groupe « masqué » (même avec trois dosages différents de proglumide) et le groupe « sans traitement ». Le proglumide semble donc amplifier la réponse placebo du système opioïde endogène. Il n’agit pas directement sur les « voies de la douleur » mais bien sur les « voies de l’attente du bénéfice du traitement ». Cette fois-ci, la conclusion est : le proglumide est un amplificateur de l’effet placebo. Il possède une action antalgique si et seulement si il est associé à une procédure placebo (3).

Maintenant, extrapolons en imaginant par exemple que votre technique manuelle manipulative partage, ne serait-ce qu’en partie, le même mode d’action qu’un placebo comme l’attente du bénéfice du traitement. Imaginez que le dernier essai clinique que vous venez de lire montre une efficacité de cette technique face à un placebo. Mais en relisant cette étude, vous ne voyez ni groupe où la technique a été délivrée à l’insu du sujet (normal me direz-vous, il semble difficile de manipuler quelqu’un sans qu’il soit au courant), ni groupe où on manipule verbalement le sujet à propos de la technique qu’il reçoit… Quelles seraient vos conclusions ?

Le placebo, une affaire à suivre …

Références

(1) Benedetti F, Carlino E, Pollo A. How placebos change the patient’s brain. Neuropsychopharmacology. 2011;36:339–354.
En accès libre

(2) Benedetti F, Amanzio M, Maggi G. Potentiation of placebo analgesia by proglumide. Lancet. 1995 Nov 4;346(8984):1231.

(3) Benedetti F. The patient’s brain – the neuroscience behind the doctor-patients relationship. Oxford University Press, 2011.