S’il ne fait aujourd’hui plus aucun doute que les pratiques de soins doivent être basées sur des preuves, il faut continuer à se poser deux types de questions :

Sur quoi sont basées ces preuves ? (question de méthode)
A quoi correspondent-elles (= qu’est-ce qu’elles prouvent) ? (question de causalité)

Pour les auteurs, c’est bien cette notion de causalité (par exemple, qu’est-ce qui cause une maladie) qui semble être le point faible de l’EBM car elle s’appuie sur des faits statistiques à partir desquels elle infère un type de causalité (2). Malgré l’apport des critères de Hill en 1965, il semble, pour les auteurs, que le modèle de l’EBM assimile causalité et corrélation en se basant sur le concept de régularité de Hume.

Hume pose trois conditions à rassembler pour pouvoir parler de relation causale entre un événement A et un événement B :
– A a lieu avant B
– A est proche de B sur un plan spatial et temporel
– Quand un événement du même type que A se produit, un autre événement du même type que B lui succède (avec une contiguïté spatio-temporelle)

La pyramide de l’EBM (qualité de preuve) accorde beaucoup de poids aux Essais Contrôlés Randomisés (ECR). Dans un ECR, on compare deux ou davantage de groupes pour voir si une intervention donnée produit une différence dans les résultats mesurés. Dans ce cas, le lien de causalité correspond au concept anglo-saxon de « difference making ».

Les deux théories de causalité (régularité et difference making) ont un point commun : elles considèrent que la même cause va produire le même effet. Ainsi, si un traitement fonctionne pour un groupe, on s’attend à ce qu’il fonctionne également pour des patients qui tombent dans ce groupe. Du coup, il en découle la notion importante de sous-grouper correctement les individus pour leur donner les meilleurs traitements et qu’ils obtiennent les meilleurs résultats. En considérant le facteur causal de cette manière, on extrapole le fait que si un patient tombe dans le sous-groupe en question, sa réponse au traitement sera toujours la même. Et si un traitement ne fonctionne pas (l’effet n’est pas celui attendu), on suppose alors que c’est du fait d’une différence pertinente de cause. L’idée est donc de réduire le sous-groupe suffisamment pour pouvoir réaliser des inférences de qualité à propos de tous les membres du sous-groupe. Le problème avec cette stratégie est que le sous-groupe le plus pertinent est toujours le groupe de taille 1 !

La solution conceptuelle à ce problème est amenée par les auteurs : au lieu de se focaliser sur les données de corrélation, les régularités observées à partir de population étudiées, etc., il faut des preuves de causalité, et cette causalité doit être entendue en termes de tendances. Celles-ci ne suivent pas une loi de tout ou rien mais plutôt de degré. Exemple : la contraception orale cause des thromboses mais la tendance est faible (1 femme sur 1000) ; si on cherche des corrélations robustes, il faudra expliquer comment le lien de causalité peut échouer dans 999 cas sur 1000.

Pour les auteurs, il faut réinterpréter le type de preuves que nos méthodes sont en mesure de fournir :
– Les études statistiques sur de larges populations peuvent indiquer des tendances de causalité
– Les ECR peuvent révéler la force de ces tendances
– La connaissance des sous-groupes peut indiquer comment ces tendances s’associent avec d’autres facteurs de causalité
En revanche, la preuve d’une véritable causalité doit être établie par des études mécanistiques et par la compréhension des caractéristiques individuelles pertinentes des patients.

Références

(1) Anjum RL, Kerry R, Mumford SD. Evidence based on what? J Eval Clin Pract. 2015 Dec 11.

(2) Thompson, P. R. (2010) Causality, mathematical models and statistical association: dismantling evidence-based medicine. Journal of Evaluation in Clinical Practice, 16 (2), 267–275.