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Vous recevez en consultation une personne présentant des signes douloureux subjectifs correspondants au territoire sciatique du membre inférieur droit, évoluant depuis 6 mois.
Elle a été traitée par un cocktail antidouleurs et anti-inflammatoires pendant les premières semaines. Face à des résultats peu concluants dans la durée, son médecin lui prescrit une radio à 3 mois qui montre quelques signes d’arthrose lombaire étagée et une diminution de la hauteur des derniers étages discaux.
A 4 mois du début de la crise algique, la décision médicale est prise de réaliser une IRM : les résultats de l’imagerie montrent une belle hernie discale compressive de niveau… L3/L4 qui diminuant sensiblement le trou de conjugaison droit de la racine L3.
On propose une infiltration localisée à cette personne qui refuse et préfère démarrer dans un premier temps un traitement en kinésithérapie, qu’elle ose demander à son médecin généraliste.
Nous sommes à 5 mois du début des douleurs sur le territoire sciatique. Vous retrouvez, entre autres, un SLR positif à droite et une irritabilité lombaire basse lors de votre bilan.
Cette personne est très anxieuse et ne comprend plus comment elle va s’en sortir dans les années à venir, avec des résultats d’examens pareils. Selon elle, elle finira « dans un fauteuil », c’est aussi ce que lui a confirmé le médecin lui ayant donné les résultats de l’IRM, si elle ne fait pas attention et si elle ne « s’économise » pas un petit peu.

Cette situation vous rappelle des souvenirs ?
On pourrait évidemment oser la raconter en évoquant des protrusions discales lombaires plus inférieures, concernant un nerf spinal contribuant directement à la formation du tronc sciatique… Le scénario et ses conséquences auraient été similaires mais autrement plus difficiles à dénoncer cliniquement !

Pourtant les études évaluant la prévalence de dégénérescence discale lombaire chez des personnes asymptomatiques ne manquent pas.

Nous citerons l’étude de Jensen, parue en 1994 dans le New England Journal of Medecine :
98 sujets asymptomatiques au niveau lombaire ont été inclus dans l’étude et investigués à l’IRM, 14% présentent une déchirure de l’anneau fibreux, 52% un bombement discal d’au moins un étage lombaire, 27% une protrusion discale et 1% une hernie discale exclue.

Plus récemment 3 publications ont été produites en janvier 2013 à partir de l’étude coréenne de Sang Jin Kim & al.
La première concerne la prévalence de dégénérescence discale lombaire chez 102 sujets coréens asymptomatiques d’après des résultats d’IRM. Les résultats sont spectaculaires :
– 81,4 % présentent une hernie discale (tous degrés confondus : bombement, protrusion et hernie exclue)
– 76,1% une fissure de l’anneau fibreux
– 75,8% une dégénérescence du noyau du disque

Autres éléments marquants présentés dans cette publication :
– Cette étude montre un taux de hernies exclues beaucoup plus important que l’étude de Jensen (environ 20% pour les classes d’âge de 30 à 82 ans)
– Elle évalue un taux important de bombements discaux dans la tranche 10-19 ans : 17% pour le niveau L4/L5 et 33% pour le niveau L5/S1.
– Elle intègre une revue de littérature présentant ces résultats pour des populations symptomatiques qui montrent les prévalences suivantes : protrusion discale 54.4%, hernie exclue 34.8%, déchirure annulaire 59 % et dégénérescence du noyau 95.7%
– Elle présente une revue de littérature internationale comparant les différents types de dégénérescence discale chez les sujets asymptomatiques de 1993 à 2012.

Pour information, les 2 autres publications issues de cette étude concernent :
la prévalence de dégénérescence discale de la région cervicale chez ces mêmes 102 sujets sur résultats d’IRM, avec des résultats tout aussi impressionnants.

la corrélation entre le niveau de dégénérescence discale des 2 régions : cervicale et lombaire. Ce papier suggère que les niveaux de dégénérescence discale lombaire et cervical sont étroitement corrélés et que, par conséquent, l’étude d’un seul niveau est un excellent élément prédictif de l’état de dégénérescence discale du second.

Un article américain, publié le 12 janvier 2007 dans The Wall Street Journal, explique comment des assureurs se sont penchés sur le parcours de soins proposé aux patients souffrant de douleurs lombaires dans un centre médical de Seattle. Les auteurs présentent le parcours de soins de l’époque comme un « labyrinthe médical » très similaire à l’exemple présenté au début de cette note. Le recours à l’imagerie était important ainsi que les avis spécialisés, sans véritable approche thérapeutique précoce.
Des solutions sont maintenant proposées permettant d’établir un parcours de soins plus standardisé, dans lequel les patients rencontrent directement un kinésithérapeute qui évalue leur situation.
Sans présence de drapeaux rouges, ils démarrent un traitement précoce en kinésithérapie.
Si la situation est plus compliquée, l’imagerie par IRM est préconisée et éventuellement d’autres avis spécialisés.

Nous n’avons bien sûr toujours pas évoqué d’éventuels problèmes de santé publique potentiellement plus graves. Réfléchissons par exemple au recours inutile possible à des solutions chirurgicales mutilatrices, décidées en faveur d’une imagerie diagnostique considérée pertinente, dans le cas de sciatalgies rebelles au traitement médical. La situation est très similaire à des scandales sanitaires en cours liés à des dépistages douteux, comme le dosage de la PSA pour détecter les cancers de la prostate pour ne citer que lui.
Nous n’insisterons pas non plus sur le catastrophisme souvent généré par les comptes rendus détaillés de ce type d’examen chez des patients douloureux et sur les conséquences concernant l’évolution de leur tableau algique.

Les résultats d’une IRM sont difficilement corrélables avec les signes douloureux d’une lombalgie commune avec ou sans irradiation neurologique.
C’est suffisant pour en faire une suspecte, une complice voire une coupable dans les tableaux algiques fonctionnels lombaires sans signes de gravité.

( NB: Pendant la rédaction de ce billet, j’ai reçu 2 appels téléphoniques de la part de 2 personnes mentionnant des douleurs sciatiques depuis plusieurs mois. Les dates de bilan sont calées. Ces patients apporteront leurs radios et leurs IRM de la semaine dernière avec elles ces jours là. What else?)