Pour répondre à cette question de père, ActuKiné démarre une nouvelle série d’articles ayant pour thème l’intégration des informations multisensorielles et la construction de la conscience du soi.

Je vois d’ici certains lecteurs s’interroger : un peu abstrait votre histoire, non ? A quoi est-ce que ces connaissances pourraient bien servir en physiothérapie ? Tranquillisez-vous, l’idée est justement de dégager des notions qui puissent à la fois nous aider à comprendre comment nos patients fonctionnent et comment s’en servir en rééducation.

Comme dans toute bonne cérémonie des Oscars, on commence cette série en remerciant ceux sans qui tout ceci ne serait jamais arrivé : Botvinick et Cohen, deux chercheurs de Princeton qui ont soumis en 1998 à la revue Nature un article étudiant une illusion baptisée Rubber Hand Illusion (illusion de la main factice).

10 sujets participaient à une expérimentation qui consistait à placer un de leur membre supérieur derrière un écran opaque et un membre factice dans leur champ de vision ; ensuite le membre réel caché et le membre factice visible étaient stimulés à l’aide d’un pinceau simultanément et pendant 10 minutes (la vidéo ci-dessous vous donnera un aperçu du dispositif). Notez que traditionnellement l’expérience se termine en frappant violemment le membre factice (ou en tordant quelques doigts en plastique) ce qui créer l’hilarité du participant qui aura pris soin, au passage, de retirer sa main (réelle) face au danger !

Dans l’expérience de Botvinick et Cohen, la majorité des sujets percevaient le membre factice comme leur appartenant (un questionnaire évaluait leur ressenti). Dans une seconde expérience, immédiatement en début et en fin de stimulation, les sujets devaient réaliser une tache proprioceptive (yeux fermés, l’index de la main controlatérale devait indiquer sous la table la position de l’index de la main réelle) : les participants présentaient une déviation en direction de la main factice et ce d’autant plus que l’illusion était forte. Notion importante : pour que l’illusion fonctionne, il était nécessaire de synchroniser parfaitement les stimuli tactiles.

Si les expériences de leurres sensoriels passionnent autant les neuroscientifiques (et notamment les spécialistes de la douleur chronique), c’est parce qu’elles pourraient permettre de comprendre pourquoi et comment le cerveau peut se tromper dans son interprétation/intégration informationnelle ; il serait possible d’en déduire la manière dont il fonctionne quand il ne se trompe pas. La représentation que nous nous faisons de notre corps est complexe et implique l’encodage et l’intégration de nombreux signaux multisensoriels (visuel, somatosensoriel, auditif, vestibulaire, viscéral) et moteurs. Elle doit notamment participer à une protection adéquate de l’organisme en situant par exemple d’où peut provenir un danger.

Comprendre la perception du soi, c’est aussi comprendre pourquoi certains patients chroniques vous parlent de leurs sensations étranges (par exemple les "neglect like" des CRPS, ces sensations que les patients vous décrivent en parlant d’un membre qu’ils qualifient d’"étranger"). En terme de traitement, cette compréhension semble importante car, hypothétiquement, en manipulant la perception du soi de vos patients (par exemple avec une illusion comme la thérapie miroir) on pourrait modifier leur douleur.

Vous verrez prochainement que cette expérience a servi de base à beaucoup d’autres études passionnantes … à suivre.

Références

Botvinick M, Cohen J. Rubber hands ‘feel’ touch that eyes see. Nature. 1998 Feb 19;391(6669):756.