Par définition et à première vue, la kinésithérapie ne s’adresserait qu’aux désordres principalement mécaniques du corps. Cette façon de voir est en grande partie un héritage du dualisme cartésien qui caractérise presque essentiellement la culture occidentale.
Si on change de perspective et que l’on conçoit l’être humain dans sa globalité, alors on peut envisager une kinésithérapie qui soigne aussi les désordres de l’esprit.
La prévalence des troubles de santé mentale est élevée. Selon l’O.M.S. (1) les maladies mentales seraient les causes les plus importantes d’invalidité dans le monde. Une personne sur quatre en Europe présente un trouble mental durant sa vie. Les troubles les plus fréquents sont les troubles de l’humeur (13,9), les troubles anxieux (13,6%), les addictions à l’alcool. (5,2%) (2).
Les maladies les plus graves nécessitent le plus souvent une prise en charge hospitalière dans les unités psychiatriques des hôpitaux généraux ou dans les hôpitaux spécialisés en psychiatrie mais beaucoup de troubles, malgré leurs symptômes invalidants, restent dans une certaine mesure compatibles avec la vie de tous les jours et peuvent être soignés au cabinet. C’est la cas, entre autres, de la majorité des troubles anxieux, des états dépressifs mineurs, de l’insomnie chronique, des somatisations diverses.
La kinésithérapie en santé mentale trouve sa place à la fois dans les institutions hospitalières mais pourrait également être proposée plus souvent en exercice libéral.
Dans un communiqué de presse du 7 juin 2011, la Haute Autorité de Santé (France) préconise de sortir du « tout médicament » et suggère aux médecins d’oser des prescriptions non médicamenteuses.
Or, le traitement le plus habituel des troubles mentaux même pour des troubles mineurs reste le traitement médicamenteux en grande partie pour des raisons culturelles à la fois pour les prescripteurs mais également pour les consommateurs de soins.
Si le traitement pharmacologique se révèle pertinent dans les stades aigus des maladies mentales et dans les troubles psychotiques, il possède moins de validité pour la plupart des troubles mentaux chroniques. Par ailleurs, même si le traitement médicamenteux est pratiquement toujours le traitement de première intention, son observance n’est pas parfaite. Une étude de l’OMS (3) montre que 50% des patients ne prennent pas leurs médicaments. Mais combiner psychothérapie ou kinésithérapie et traitement médicamenteux est souvent judicieux car si les médicaments psychotropes atténuent les symptômes, ils n’apportent rien au plan du vécu. Une prise ne charge non médicamenteuse peut ainsi renforcer l’adhésion au traitement pharmacologique quand ce dernier est nécessaire.
Le recours aux psychothérapies les plus répandues, n’est pas systématique pour diverses raisons : accessibilité plus difficile, impératif de verbalisation, peur de la stigmatisation, absence de remboursement par la sécurité sociale. Si on va jusqu’à la caricature, quand on propose de la kinésithérapie à un patient, l’image qu’il se fait de ces soins lui convient souvent bien à cause du rapport favorable avec le corps qu’il établit spontanément alors que si on lui prescrit d’aller consulter un psychiatre ou un psychologue, il peut craindre une mise à nu psychologique ou pire redouter être pris pour fou par ses pairs.

Toute souffrance du Soi est (aussi) une souffrance du corps, une souffrance incarnée disaient Sivadon & Fernandez (4).
Les personnes qui souffrent de maladies mentales présentent presque toujours un mal-être corporel que les soins de kinésithérapie peuvent bien souvent apaiser. Les somatisations sont régulières dans les troubles mentaux mais même au-delà puisque des études ont montré que beaucoup de lombalgies chroniques classiques étaient l’expression somatique d’un malaise psychique (5).

Il existe de bons niveaux de preuves de l’efficacité de l’exercice physique, du massage, de la relaxation, de l’hydrothérapie et de la gestion de la douleur dans le traitement des troubles de la santé mentale.

Bien évidemment, si la kinésithérapie développe une offre pertinente de soins en santé mentale, une des premières conditions, est de revoir la formation et/ou de la compléter ou encore d’inscrire cette formation spécialisée en formation continue (6).

Nos collègues Anglais ont réalisé en 2000 (7) une mise au point assez complète de l’efficacité de la kinésithérapie en santé mentale basée sur des niveaux de preuves (evidence-based), ne serait-il pas opportun de leur emboîter le pas dans les pays de langue française ?

J’en appelle à tous ceux qui sont kinésithérapeutes dans le secteur afin d’unir nos expériences et nos connaissances pour assurer des fondements à ces pratiques, les faire reconnaître et les développer. J’espère que le débat est ouvert et ne fait que commencer.

Guy Adant est Kinésithérapeute & ergothérapeute spécialisé en santé mentale, master en santé publique, formateur, enseignant hre Haute Ecole Condorcet (Tournai, Belgique)

Article soumis le 02/01/2012 et accepté le 04/01/2012

Références

Wang PS, Aguilar-Gaxiola S, Alonso J et al. (2007) Use of mental health services for anxiety, mood, and substance disorders in 17 countries in the WHO world mental health surveys, Lancet, sep.8 ; 370 (9590) : 841-50
Wittchen HU, Jacobi F, (2005) Size and burden of mental disorders in Europe—a critical review and appraisal of 27 studies, Eur Neuropsychopharmacol, 15:357-76.
World Health Organization (2003) (PDF). Adherence to Long-Term Therapies: Evidence for Action. Geneva: World Health Organisation. ISBN 92-4-154599-2.
Sivadon, P, Fernandez-Zoila (1986) Corps et thérapeutique, Paris, PUF.
Tamar Pincus, A. Kim Burton, Steve Vogel, Andy P. Field (2002) A Systematic Review of Psychological Factors as Predictors of Chronicity/Disability in Prospective Cohorts of Low Back Pain, SPINE Volume 27, Number 5 : E109–20.
Adant, G. (2005) Kinésithérapie en santé mentale, Cours inédit, Master en kinésithérapie, Haute Ecole Condorcet, Tournai.
Donaghy, M., Durward, B. (2000) A report on the clinical effectiveness of physiotherapy in mental health, Evidence-based briefing paper, National Service Framework Mental Health, www.csp.org.uk