Voici un édito qui risque de faire couler beaucoup d’encre… Dave Walton nous propose de réfléchir à « pourquoi » la physiothérapie dans le numéro de Musculoskeletal Science and Practice de juin (à paraitre) (1). L’édito démarre fort avec la question suivante (question qui lui a été réellement posée en 2018) : "Si des preuves irréfutables étaient publiées demain, indiquant que la société serait mieux sans physiothérapie, seriez-vous prêt à y renoncer?". Elle soulève la question du "pourquoi une recherche et une pratique en kinésithérapie". Elle n’est pas sans rappeler la question de Barbara Gibson : « que faites-vous quand vous faites ce que vous faites ? » (2).

« Si on demande à 10 personnes ce qu’est exactement la kinésithérapie ou ce que fait précisément un kinésithérapeute, les 10 réponses risquent d’être très différentes » : une étude (à paraitre) montre que la profession ne possède pas vraiment « d’image de marque » (Physiotherapy Canada, sous presse). Malgré une centaine d’années d’existence, la physiothérapie ne semble pas posséder un « sens de compréhension commun » : si le but de la prise en soin kinésithérapeutique parait relativement clair, la manière et le moment où ce but est atteint est plus incertain : « les physiothérapeutes savent où ils vont mais sans savoir quand s’arrêter ! » (3). Autre question face à l’absence de « théorie unificatrice » : qu’est-ce qui définit ce qu’est de la « bonne physiothérapie » ?

Pour Walton il manque donc à la kinésithérapie un « attracteur » (terme emprunté à la théorie des systèmes dynamiques) autour duquel un ensemble de construits (souvent délicats à définir avec précision) puissent graviter (douleur, fonction, mobilité, qualité de vie, satisfaction, etc.). Walton pense qu’à mesure que de nouvelles interventions vont apparaitre, la notion de ce qu’est ou pourrait être la physiothérapie risque de se diluer au point de devenir méconnaissable sans une définition claire de cet attracteur (n’est-il pas déjà trop tard?).

Walton s’aligne sur ce qu’on pourrait appeler les théories sociologiques du handicap comme la Critical Disability Theory (CDT – théorie critique sur le handicap). Il « reproche » à la physiothérapie de donner trop de poids à l’exercice physique, aux sciences de la douleur, à la thérapie manuelle, au dry-needling ou encore aux modalités thermo-électrothérapeutiques par rapport à une démarche de réflexion plus profonde proposée par exemple par les études critiques sur le handicap. Comme Setchel (4), il lance au travers de cet édito un appel au "pourquoi" :

– Pour les chercheurs en physiothérapie : pourquoi faire ? Pourquoi ce design ? Pourquoi ce résultat ?
– Pour les cliniciens : pourquoi ce cours en DPC ? Quels intérêts servira-t-il ?
– Pour les éducateurs : pourquoi cette pédagogie ? Pourquoi ces objectifs d’apprentissage ?
– Pour les revues spécialisées : pourquoi ce manque relatif de perspectives critiques en sciences sociales au sein des conseils de rédaction ?

Bonne lecture !

Références

(1) Walton, D., The critical skill of asking why? An endorsement of critical reflection in physiotherapy research and practice, Musculoskeletal Science and Practice, https:// doi.org/10.1016/j.msksp.2019.04.005.

(2) Gibson BE. Rehabilitation : A Post-Critical Approach. 1st ed. CRC Press; 2016.

(3) Poulis I. The end of physiotherapy. Aust J Physiother. 2007;53(2):71-72. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17535141. Accessed March 18, 2019.

(4) Setchell J, Nicholls DA, Gibson BE. Objecting: Multiplicity and the practice of physiotherapy. Heal An Interdiscip J Soc Study Heal Illn Med. 2018;22(2):165-184. doi:10.1177/1363459316688519.