Rééducation du sujet hémiplégique par suspension du poids du corps et tapis roulant: LEAPS study
Question clinique
Les capacités fonctionnelles de marche (à 1 an) des personnes hémiplégiques récentes sont-elles améliorées par un entrainement à la marche sur tapis roulant avec suspension par rapport à un programme supervisé d’exercices actifs réalisés à domicile ?

Résumé
/Introduction. L’objectif de cette étude est de savoir si un traitement de marche sur tapis roulant avec suspension partielle de poids du corps est plus efficace par rapport à un programme d’exercices actifs, standardisés, réalisés à domicile pour augmenter les capacités fonctionnelles de marche au sol des sujets à distance après un AVC récent.
/ Méthode. Essai contrôlé, randomisé, multicentrique à 3 bras. Population : sujets ayant fait un AVC depuis moins de 45 jours. Capables de marcher quelques mètres avec assistance d’une personne maximum, à une vitesse < à 0.8m/s. Tous les patients qui ne sont pas indépendants étaient exclus. Les participants étaient répartis par randomisation entre 3 groupes soit le groupe « entrainement sur tapis roulant et suspension précoce » (entrainement réalisé à 2 mois post AVC) soit le groupe avec « entrainement sur tapis roulant et suspension tardif» (entrainement réalisé à 6 mois post AVC) soit le groupe « exercices actifs supervisés à domicile ». Le critère principal de jugement utilisé était le changement de statut fonctionnel de marche évalué à 1 an (basé sur la classification de Perry). Les critères secondaires évaluaient les capacités de marche, la fonction motrice, l’équilibre, les capacités fonctionnelles, l’évaluation des capacités et de la satisfaction par le patient, la dépression
/Résultats. Sur les 4909 patients examinés, 408 ont participé à cette étude et ont été répartis dans les 3 groupes (n= 139, n =143, n = 126). Tous les patients étaient comparables après la randomisation. Le taux d’abandon a varié entre les groupes (précoce : 13 %, tardif : 17 %, domicile : 3 %). À l’issu du programme d’entrainement, 52 % des participants ont amélioré leurs capacités fonctionnelles à 1 an après AVC sans qu’aucune différence ne soit mise en évidence entre les 3 groupes. Les ODD ratios (OD) n’étaient pas statistiquement différents pour les comparaisons entre groupes. OD précoce vs domicile : 0.83 (95 % CI 0.50-1.39) ; OD tardif vs domicile : 1.19 (95% CI 0.72-1.19). Aucun changement significatif concernant les critères de jugement secondaires n’a été observé. 57,6 % des participants ont rapporté des chutes. Les pourcentages n’étaient pas différents entre les groupes. 34,1 % ont chuté plusieurs fois. Chez les patients les plus sévères, les chutes répétées étaient plus fréquentes dans le groupe « précoce » (52 %) que dans les autres groupes (36,4 % et 30.3 %).
/ Conclusion des auteurs
L’étude n’a pas démontré la supériorité de l’entrainement à la marche sur tapis roulant et suspension de poids de corps par rapport à une rééducation avec des exercices actifs réalisés à domicile sous surveillance d’un thérapeute. De plus, les risques semblaient plus faibles pour la rééducation à domicile. Enfin, le taux de chutes élevé des patients suggère qu’il est nécessaire d’inclure un entrainement spécifique de l’équilibre dans les programmes de rééducation.

Commentaires Actukiné

/ Aspects méthodologiques
Une étude remarquablement menée sur le plan méthodologique (voir critères CONSORT, incluant 6 centres américains. Une description précise des interventions dans une précédente publication (Duncan et coll., 2007) permet de connaitre en détail le contenu des rééducations appliquées. Le choix du critère principal de jugement est intéressant, car il concerne une mesure de changement clinique et non une mesure de laboratoire qui était mesurée à 1 an après l’AVC. La plupart des études mesurent les changements à 4 semaines après l’arrêt du protocole et ne nous renseignent pas sur les bénéfices ou les désagréments observés à long terme. Grâce à une valeur mesurée à distance, les auteurs nous informent sur le bénéfice clinique des traitements. Toutefois, l’absence d’un groupe contrôle avec un traitement standard ou un traitement habituel n’apporte pas d’aide aux cliniciens ou aux patients pour choisir le traitement le plus efficace parmi ceux disponibles (Ware et Hamell., 2011). Enfin, on notera que l’analyse était bien réalisée en intention de traiter. C’est regrettable que les auteurs n’aient pas reporté les % bruts des sujets qui sont améliorés pour chaque groupe, car cela aurait permis le calcul du « nombre de sujets améliorés » ou number to treat (NNT).

/ Aspects cliniques
a. Le critère principal de jugement consistait à évaluer le nombre de personnes qui changeaient de catégorie fonctionnelle de marche (< à 0.4 m/s, de 0.4 à 0.8m/s, > à 0.8m/s). Tous les patients ont progressé en moyenne, surtout avec le programme réalisé à domicile. Il semble que l’entrainement sur tapis roulant avec suspension n’apporte pas de bénéfices supplémentaires chez ces patients, mais au contraire des désagréments plus nombreux (taux de chutes > pour le groupe « précoce »). Un taux d’abandon plus important est rapporté par les auteurs pour des patients ayant une atteinte sévère dans les groupes tapis roulant que dans le groupe exercices « à domicile ». Une rééducation sur tapis roulant plus contraignante, une absence de bénéfice au regard de possibles complications, une difficulté plus importante à se rendre dans un centre plutôt que de suivre le traitement à domicile peuvent expliquer un taux d’abandon plus élevé. En tout état de cause, l’adhérence était plus faible pour les groupes entrainés sur tapis roulant et suspension que pour le groupe qui réalisait sa rééducation à domicile.
b. Plusieurs hypothèses peuvent être proposées pour expliquer une absence de différence d’effets entre les deux entrainements :
– L’absence de différence d’intensité. Les deux interventions ont été réalisées avec des intensités modérées un terme de temps de pratique active (3 fois semaine, 20 à 30 minutes) ou d’effort cardiomusculaire. Plusieurs essais cliniques et de récentes recommandations (Royal College of Physicians) ont suggéré que l’efficacité des traitements basés sur la répétition et l’apprentissage nécessite des durées de pratique plus élevées (un minimum de 45 minutes chaque jour). La durée totale par semaine semble toutefois comparable (5 jours à 45 minutes= 225 minutes équivalent à 3 jours à 80 minutes =240 minutes) sans que l’on sache précisément la durée effective d’activités. Aucune indication dans cette étude n’est fournie montrant l’effort en termes de fréquence cardiaque que les participants devaient fournir pendant les entrainements. Il semble pourtant que l’entrainement cardiorespiratoire soit une variable importante de l’amélioration des capacités fonctionnelles des patients après AVC (Saunders et coll., 2009).
– L’absence de différence marquée entre les types d’interventions. En effet, le groupe TR bénéficiait de conseils de marche au sol pendant 15 minutes à chaque session tout comme les participants du groupe “domicile”.
– A un niveau d’intensité modérée, les interventions de rééducation ont des effets comparables. Il est nécessaire d’estimer le rapport bénéfice / inconvénients pour aider le clinicien ou le patient à décider du traitement le plus approprié. Il n’existe pas de recette et les interventions complexes doivent être ajustées dans la mesure du possible individuellement, nécessitant l’intervention d’un thérapeute expérimenté et spécialisé.
c. L’applicabilité de ces résultats est à discuter, car il est rare en France que les patients hémiplégiques (surtout sévères) suivent une rééducation à domicile 2 mois après leur AVC, avec une prise en charge moyenne 76 ±10 minutes. Une différence de modèle de soin probable limite l’application de ces résultats à nos patients.
d. Au total, il semble donc : 1) difficile de pouvoir reproduire ces traitements dans notre contexte de soin 2) le traitement d’exercices correspond-il plus à la prise en charge de rééducation de nos patients en institutions et permet de fournir des indications pour l’élaboration de programmes de rééducation ?

Références
1. Duncan PW, Sullivan KJ, Behrman AL, Azen SP, Wu SS, Nadeau SE, Dobkin BH, Rose DK, Tilson JK, Cen S, Hayden SK; LEAPS Investigative Team. Body-weight-supported treadmill rehabilitation after stroke. N Engl J Med. 2011 May 26;364(21):2026-36. Résumé Pubmed
2. Duncan PW, Sullivan KJ, Behrman AL, Azen SP, Wu SS, Nadeau SE, Dobkin BH, Rose DK, Tilson JK; LEAPS Investigative Team. Protocol for the Locomotor Experience Applied Post-stroke (LEAPS) trial: a randomized controlled trial. BMC Neurol. 2007 Nov 8;7:39. Téléchargeable gratuitement.
3. Ware JH, Hamel MB. Pragmatic trials–guides to better patient care? N Engl J Med. 2011 May 5;364 (18):1685-7. Résumé Pubmed
4. Intercollegiate Stroke Working Party. National clinical guideline for stroke, 3rd edition. London: Royal College of Physicians, 2008. Téléchargeable gratuitement
5. Saunders DH, Greig CA, Mead GE, Young A. Physical fitness training for stroke patients. Cochrane Database of Systematic Reviews 2009, Issue 4. Résumé Cochrane

Annexe1. Détails des interventions
– Entrainement locomoteur sur tapis roulant avec suspension :
• Programme : marche sur tapis roulant (TR) puis marche au sol (MS) incluant des conseils et de la marche dans un environnement externe.
• Dose/intensité : 20 à 30 minutes de TR à 3.2 km/h (minimum 2km/h) avec des pauses sur demande, 15 minutes de MS. 3 séances par semaines pendant 12 à 16 semaines soit entre 30 et 36 séances. La suspension est graduellement diminuée de 40 % à 02.

– Entrainement à domicile
• Programme : les exercices ont été conçus pour être orientés vers la marche, favoriser le contrôle actif sans être très intensif. Ils étaient réalisés à domicile par un physiothérapeute (dénomination internationale de la profession de kinésithérapeute). Les objectifs des exercices étaient d’améliorer la souplesse, la mobilité articulaire, la force musculaire des bras et des jambes (avec theraband), l’équilibre et la coordination en statique et dynamique. Les patients étaient encouragés à marcher quotidiennement. Le détail du programme des exercices pratiqués a été publié dans Duncan et coll., 2007