« Tous les médecins qui nous lisent connaissent bien la troisième strophe du serment d’Hippocrate : « Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice » (traduction du serment d’origine par Emile Littré). En tant que physiothérapeute, nous n’avons pas eu à prêter un tel serment, mais j’ai la conviction qu’il nous en faudrait un.

Au cours des trois dernières semaines, j’ai vu huit personnes particulièrement bouleversées et handicapées par leur lombalgie chronique. Ils étaient tous plutôt « typiques » en terme de compte-rendu radiologique ; un manque habituel de preuve de l’existence d’un risque majeur sur un plan médical ou structurel ; une trajectoire classique faite d’échecs thérapeutiques successifs. Il y avait une dame d’âge moyen qui touchait des prestations d’invalidité depuis 20 ans et un ancien rameur champion du monde tentant de faire un énième retour. Ils étaient également assez typiques de par leur sentiment que leur colonne vertébrale courait un grand danger. Habituellement, dans de telles situations, mon premier objectif de traitement est de les aider à re-conceptualiser leur opinion à la fois de leur dos et de leur douleur. Dans le cadre de ce processus, je cherche normalement à identifier sur quoi est fondée leur conceptualisation actuelle – est-ce que cela représente des informations stratégiques qui pourraient être facilement ciblées ? Il est remarquable, bien que peu surprenant, de voir à quel point je découvre souvent un fusil encore fumant dans les mains d’un professionnel de santé bien intentionné.

Chacun de ces huit patients attribuait la compréhension de son mal de dos, au moins en partie, à des informations qui lui avaient été données. Il n’était pas question ici de « hernies discales » – il me semble que nous avons désormais dépassé cette étiquetage de par le caractère socialement inacceptable de ce terme parmi les professionnels de la santé. Non, il s’agissait de choses plus populaires en ce moment – « Votre colonne manque de stabilité ; Votre ceci ou cela n’est pas droit et doit être réaligné ; Vous avez un « upslip », un « downslip » ; un problème non résolu au niveau d’un emplacement anatomique lointain et que tous les autres professionnels ont manqué ; cette articulation ou autre chose ne ferme pas ; Votre ceci ou cela appuie sur votre ceci ou cela – ou mon préféré cette semaine – votre côte supérieure est coincée » (bien que les termes exacts utilisés pour décrire ce dysfonctionnement soient indiciblement catastrophiques). J’ai une réponse plutôt versatile face à de telles découvertes – j’oscille entre une acceptation silencieuse face à la naïveté du clinicien qui a planté ce mensonge en ayant la conviction que nous agissons tous avec nos propres incertitudes et arrière-pensées, et un profond mécontentement et de la frustration vis-à-vis du mal que le clinicien a apporté à cette personne en implantant ce message erroné ; le clinicien qui a, soit dit au passage, radicalement changé non seulement le comportement du patient, mais aussi certains des principes fondamentaux qui dirigent sa biologie.

D’où viennent ces modèles physiopathologiques ? Eh bien, il existe clairement une industrie florissante de « produits de paradigme » – des quasi-théories physiopathologiques, dont la plupart semblent pour moi assez douteuses et dont la quasi-totalité n’est même pas testée. En effet, la plupart des inventeurs de ces « produits de paradigme » ne semblent pas avoir eu l’intention de confronter leurs idées à toute sorte d’investigations. Au lieu de cela, la preuve irréfutable semble résider dans le profil de leurs patients, ou des recherches approximatives en rapport qu’ils utilisent pour abonder dans leur sens. Pour couronner le tout, notre propre communauté semble approuver ces produits de paradigme, en les incluant dans des congrès « scientifiques » et des revues professionnelles. Quelle responsabilité d’intervenir sur un podium avec l’oreille de cliniciens bien intentionnés qui, le lendemain, réutiliseront le message pour donner de l’espoir aux personnes en difficulté. Quelle responsabilité en effet.

Suis-je trop sensible sur ce sujet ? Trop sévère ? Peut-être. Mais maintenant penser aux victimes. Les victimes sont, à mon avis, ces personnes dans la douleur. Ces personnes comme les huit dernières que j’ai vu, terrifiées jusqu’au plus profond de leur système nerveux, et sur le point de se briser en deux.

Alors à tous ceux qui travaillent dans les « thérapies physiques » : à quel point sommes-nous responsables de ce que nous faisons ? Les traitements qui n’ont pas d’action en sus de leurs effets non spécifiques, sont encore approuvés, parfois officiellement, au motif qu’ils sont « sans risque et sans effet secondaire ». Vraiment ? À mon avis, mes huit derniers patients ont été blessés par le traitement qu’ils ont reçu. Ils ont été lésés par la contribution significative apportée par leur clinicien vis-à-vis de la compréhension de leur problème. Pour ces huit patients, je crois que le clinicien a déclenché un processus neuronal qui a fini par s’ancrer dans le fonctionnement quotidien du cerveau du patient. Deux ou trois d’entre eux sont devenu tributaires de leur clinicien ou de son approche de traitement, parfois parce que celui-ci a été « découvert » (noter que le patient ne voit jamais cela comme « une invention ») par une personne qui parle de ce sujet à des conférences et enseigne dans le monde entier. Pour un peu, je pense que le clinicien les a mis en position de ne jamais récupérer du tout.

Bien sûr, il y a beaucoup de patients pour lesquels ces traitements semblent fonctionner. Moi aussi, j’ai lu et entendu des études de cas. Mais quel genre de vendeur présente le « avant-après » qui ne fonctionne pas ?

Je pense qu’il est désormais l’heure d’un changement fondamental. Il ne fait aucun doute que la douleur chronique est un problème de santé sérieux. Il ne fait aussi aucun doute que la compréhension qu’à un individu de son problème module sa douleur. Je crois que nous ne devons plus éviter ce que nos collègues médecins tiennent pour sacro-saint – d’abord et avant tout NE PAS NUIRE. Nous devrions prendre nos responsabilités et responsabiliser nos collègues. Nous devrions demander des comptes à nos associations professionnelles dont les magazines font la promotion de soi-disant thérapeutiques de grade-A, et nous devrions demander des comptes à nos commissions de congrès qui « donnent aux gens ce qu’ils veulent », même si ce qu’ils veulent est une arnaque – une escroquerie qui laisse certaines personnes attendre que leur dos explose, s’effondre, s’écrase ou éclate. Nous pouvons, et je pense que nous devons, faire mieux. »

Lorimer Moseley

*Lorimer Moseley est un physiothérapeute clinicien et chercheur. Il conduit 2 groupes de recherche : un à Adelaide (UniSA) et l’autre au NeuRA, à Sydney. Il est l’auteur de plus de 160 travaux de recherche, 4 livres et des dizaines de chapitres d’ouvrages. Il a donné plus de 120 conférences dans plus de 26 pays et formé plus de 7000 physiothérapeutes dans le champ de l’éducation à la douleur. Parmi les nombreuses récompenses scientifiques reçues, il a été récompensé par l’IASP en 2007 (International Association for the Study of Pain) pour son travail dans le champ de la douleur chronique (Ulf Lindblom Award). Il s’agit du plus prestigieux prix dans ce domaine. En 2003, il a obtenu le prix du meilleur travail au World Congress of Physical Therapy (sur 2000 soumissions).

** Article traduit de l’anglais