Ce mois-ci Sciences et Avenir publie un numéro spécial sur le "mal de dos" et réalise une synthèse de différentes approches.

Nous ne nous lancerons pas dans une analyse critique de ce dossier à viser grand public, mais il est possible de comprendre quels sont les principes et les grandes lignes de communication utilisées pour ce numéro.

Originalité :
Un tableau de synthèse compare les ostéopathes et les chiropraticiens ou les kinésithérapeutes, ce qui est assez innovant par rapport aux publications régulières sur ce sujet. Des références sont citées pour justifier le contenu (rapport Inserm sur l’ostéopathie) et AFREK et FFMKR pour les kinés.

Les journalistes n’ont pas utilisé "mal du siècle" dans ce dossier patient ce qui est une bonne chose. L’impact sur les patients d’être atteint du "mal du siècle" est délétère et il n’y a jamais eu de classement du top 5 des maladies du siècle pour les patients…

Messages clés :
Le message pour limiter la chirurgie même pour hernie discale est en accord avec les données de la littérature. Les notions psychologique et de prise en charge multidisciplinaire sont évoqués également et conforme aux recommandations internationales.

Critiques :
Le "mât de bateau" est encore utilisé pour comparer la colonne vertébrale et ses "haubans" musculaires. Ce modèle n’est plus d’actualité depuis une vingtaine d’années. Le mythe a été tué par dans un article de Eric Viel dans Kinésithérapie, la revue en 2001 sur différents critères…
Le système rachidien est un système qui doit allier souplesse et rigidité en fonction des situations. Ce sont les muscles profonds qui assurent ce rôle de stabilisation en se pré-contractant. Les "ajustements posturaux anticipés" sont maintenant des éléments majeurs à retrouver après un traumatisme ou des douleurs rachidiennes. Le kinésithérapeute est capable de les évaluer et d’apprendre aux patients à reprogrammer ces patterns.

Les manipulations vertébrales sont abordées en disant que les chiropraticiens font des manipulations plus fortes que les ostéopathes. Les références pour ce jugement de valeur ne sont pas proposées. L’intérêt des manipulations dans les lombalgies n’a pas été argumenté par les publications. Une photographie dans l’article mais pourtant en avant ce traitement par rapport à tous les autres. Pour les patients cela renvoie à une image de "replacement" articulaire des vertèbres qui est également un message erroné. Les manipulations agissent sur le tonus musculaire et sur la sensation de liberté articulaire (ce dernier effet est temporaire). Cela aurait été utile en terme de Santé Publique de placer les manipulations à la place où elles doivent être dans la prise en charge des patients lombalgies.

Les notions concernant la neurophysiologie de la douleur ne sont pas mises en avant. Ces mécanismes sont complexes à expliquer mais des exemples concrets de patients auraient pu illustrer la modulation de la douleur. Si vous lisez ActuKiné, vous avez dû voir passer ces informations…

La prise en charge kinésithérapique est évoquée. La méthode Mézière est mise en avant ! C’est assez surprenant. Cette méthode date de 1947, et aucune publication n’a évalué son efficacité. L’AFREK a organisé une conférence de consensus en 1998 et l’approche McKenzie avait été recommandée car les publications apparaissaient à l’époque. Vu l’orientation discale du dossier, cela aurait été évident d’au moins l’aborder par rapport à Mézières dont les héritiers se bagarrent pour assurer la formation continue mais sans publications scientifiques…
Aucune référence scientifique n’est citée pour justifier de l’intérêt de la kinésithérapie. Un petit tour sur PEDro aurait montrait plus de 1500 essais contrôlés randomisés, plus de 400 revues systématiques, et une quarantaine de recommandations de bonnes pratiques. Ce numéro montre que nous ne maîtrisons la communication de ce corpus scientifique, ce qui est préjudiciable à la profession.

Conclusions :
Si les kinésithérapeutes souhaitent prétendre à faire évoluer leur exercice, il serait temps qu’ils apprennent à présenter leur intérêt sous un angle de "service paramédical rendu" en terme d’efficacité. Cela nécessite : de posséder une société savante forte qui propose un discours argumenté (scientifiquement) et consensuel, des praticiens qui appliquent les recommandations, des praticiens qui diffusent les recommandations aux parties prenantes.
Ce que l’on peut voir sur ActuKiné, c’est que de plus en plus de jeunes professionnels sont sensibles à ce discours et ne se retrouvent pas sur des modèles dépassés. L’avenir est celui que l’on veut construire. Au boulot !