Laissons tomber les statistiques et méta-analyses quelques instants (promis, je suis bien moi même !). J’ai décidé aujourd’hui de nous emmener sur des terrains un peu moins standardistes et rigides qu’à mon accoutumée. Car oui, aujourd’hui nous allons parler d’une notion qui nous vient directement de la psychologie ! Pas de panique, la Kinésithérapie/Physiothérapie n’est pas loin.

Aujourd’hui nous allons discuter ensembles de la notion de “Self-efficacy” (en anglais). Mot qui, pour commencer, n’a pas de traduction francophone toute simple ! Les formulations francophones sont multiples, mais nous en retiendrons deux qui semblent être plus largement adoptées : Le principe “d’auto efficacité” ou “sentiment d’efficacité personnelle”… Rien qui puisse nous évoquer grand-chose au premier abord.

Qu’est-ce que l’auto-efficacité ?

C’est un principe dont la théorie a été édictée une première fois en 1977 par A. Bandura [1], psychologue canadien (encore vivant aujourd’hui) appartenant à la mouvance behavioriste : courant de pensée selon lequel les comportements humains sont conditionnés notamment par l’histoire de l’individu et de son environnement ainsi que par des réponses réflexes. (behaviorisme comme dans “cognitive behavioral therapy” = “thérapies cognitivo-comportementales”).

A. Bandura définit l’auto-efficacité comme étant la “Croyance d’un individu en sa propre capacité à réaliser une tâche”.
Il faut bien souligner que c’est la croyance et non la capacité objective dont on parle maintenant. Une forte auto-efficacité (grande confiance en sa capacité) ne signifie pas nécessairement que l’individu est capable de réaliser l’action. De la même manière, une faible auto-efficacité correspond à une piètre représentation de sa capacité à réaliser l’action donnée sans vouloir dire qu’il/elle ne peut pas la mener à bien pour autant.

Depuis son apparition, ce principe a été étudié par de très nombreux chercheurs en psychologie, mais pas que. De plus en plus de publications médicales ont recours à ce principe. Et c’est précisément pour cette raison que je vous en parle aujourd’hui.

Comment la mesurer ?

Et bien ce n’est pas si simple ! Le problème avec l’auto-efficacité, c’est qu’il est impossible de la mesurer objectivement et de la noter : tout comme la douleur, c’est une expérience hautement subjective et en lien avec des modérateurs (comprenons des facteurs qui l’influencent) multiples. La méthode de mesure privilégiée en ce qui concerne l’auto-efficacité est l’auto-mesure (self-report measure) : tout comme un patient noterait sa douleur sur 10 sur l’EVA, il est possible d’employer une échelle du même type ici avec un questionnement du type “de 0 à 10, à combien évalueriez-vous votre capacité à [monter un escalier par ex] ?”.

Mais ce n’est pas la seule méthode. De nombreux questionnaires ont vu le jour sur des thématiques plus précises : évaluation de sa propre peur de tomber, de sa capacité à réaliser les AVQ, représentation de son état de santé, etc. bien souvent, les questionnaires sont constitués d’une succession d’items à noter de 0-10 ou 0-5 sous forme Likert . Je vous mets en lien l’échelle FES-I (fall-efficacy scale international) qui en est un bon exemple et évalue à quel point les personnes croient avoir peur de tomber (on en reparle plus bas).
En bref, nous avons deux méthodes privilégiées pour la mesurer :

  • noter son auto-efficacité globale
  • noter son auto-efficacité pour des tâches spécifiques ou pour un phénomène spécifique

 

Facteurs influençant l’auto-efficacité

En ce qui concerne les facteurs influençant l’auto-efficacité, nous allons tenter de répondre à cette interrogation de deux manières différentes. La première réponse est apportée par la théorie de A. Bandura qui proposait alors 5 sources d’influence :

  • l’expérience de performance : lorsque nous effectuons une action déjà connue, et dont le succès ne fait aucun doute (monter un escalier pour une personne en bonne santé physique par exemple), la croyance que l’on a en notre capacité à y arriver est généralement forte. De même, une tâche à laquelle nous avons échoué sera accompagnée d’une plus faible auto-efficacité.
  • Les performances vicariantes : si un individu aux caractéristiques proches de vous réussit une tâche, vous seriez amenés à penser que vous en êtes capables aussi
  • La persuasion verbale : les encouragements (ou découragements) verbaux peuvent persuader un individu qu’il/elle est capable de réaliser une tâche. Néanmoins, tous les individus ne sont pas aussi sensibles à ce facteur d’influence.
  • La performance imaginaire : ce que l’individu imagine en se représentant l’action et à quel point il/elle parvient effectivement ou non à réaliser l’action dans ses simulations personnelles.
  • l’État affectif et les sensations physiques : lorsque l’échec est associé à des sensations et conséquences négatives et la réussite à des sensations et conséquences positives.

Certains de ces modérateurs évoqueront peut-être à certains les principes de renforcement positif ou négatif et les pratiques behavioristes que l’on associe parfois à l’exploitation des réflexes pavloviens (bonne action = récompense = renforcement de l’action et inversement sans entrer dans les détails).

Voici donc une première manière de voir les choses. Mais elle n’est plus la seule. je vais tenter de vous apporter un point de vue complémentaire qui est notamment exploité dans la thématique des douleurs chroniques et autres conditions impliquant la réduction induite des activités d’une personne. Le modèle en question est celui des “fear-avoidance beliefs” ou croyances peur-éviction (encore un terme qui ne nous dit pas grand-chose). Il s’agit de mécanisme dont le schéma très global (que nous allons creuser un peu) établit que des croyances sont à l’origine d’une peur liée à une restriction des activités.

Prenons un cas plus concret : la peur de tomber (c’est parce que je connais bien) : les patients ayant une forte peur de chuter ont tendance à restreindre leurs activités. Mais cette relation simple semble s’inscrire dans un schéma plus complexe. Et l’auto-efficacité adaptée à la peur de chuter (ici Fall-efficacy ou Fall self-efficacy) y tient une place centrale. je vous laisse donc admirer le schéma ci-dessous :

Fiouuuu c’est complexe ? Pas tant que ça !
Ce que l’on retiendra de ce schéma, c’est que globalement, les influences de l’Auto-efficacité sont nombreuses, mais pas toujours directes. Cette vision vous semblera probablement complémentaire à cette de A. Bandura dont nous parlions juste avant et c’était l’occasion pour moi de vous illustrer une application plus concrète de l’auto-efficacité. A titre d’information, ce modèle peur-éviction est notamment exploité dans la thématique des douleurs chroniques (c’est de là qu’il vient d’ailleurs).

 

Implication clinique majeure de l’auto-efficacité

Mais alors pourquoi c’est important ? et bien il se trouve que l’auto-efficacité est un facteur prédictif important dans de nombreux cas. Pour illustrer tout ça, je vous joins quelques sources et ce que l’on en apprend. L’auto-efficacité serait prédictive

  • des performances académiques dans des domaines scientifiques [2]
  • des risques de burnout et au contraire d’engagement positif dans un environnement hiérarchisé [3]
  • de l’amélioration de la qualité de vie dans les maladies pulmonaires! [4]
  • de la qualité de vie (liée à la santé) chez les patients pathologiques multiples [5]
  • de la quantité d’activité physique post-cancer [6]
  • de l’adhésion thérapeutique [7]
  • de difficultés d’apprentissage [8]
  • etc.

Et les exemples ne manquent pas. Si je devais en résumer les implications cliniques, je dirais que l’auto-efficacité est un prédicteur puissant des variables liées au statut psychologique. Son implication semble si importante qu’il convient probablement d’agir sur l’auto-efficacité afin de permettre de bons résultats thérapeutiques chez nos patients, et notamment chez nos patients atteints de pathologies chroniques.

 

Limite

 

Ce concept est un atout de choix dans notre analyse des situations cliniques, mais aussi dans la compréhension de certains résultats de la littérature. Mais il n’est pas parfait. Dans une publication récente de 2016, D. Williams et RE. Rhodes suggèrent que d’après les preuves récentes, l’auto-efficacité comme faisant partie de la simple motivation est un modèle viable (et nécessite des recherches supplémentaires). [9]

Mais ce n’est pas tout. Ce dossier que je vous ai proposé aujourd’hui n’est qu’une première pierre pour comprendre les vraies implications d’un tel concept, que ce soit pour vous, ou pour moi. Si le format vous plait, d’autres contenus viendront compléter cet article de blog. Retenons cependant un choix de ma part qui est de ne pas parler de “rééducation” de l’auto-efficacité. L’auto-efficacité est certes un moyen visiblement intéressant pour évaluer un état de motivation chez une personne, en revanche, les conséquences d’une modification de l’auto-efficacité et son effet sont peu documentées. Les réactions des patients face à une variation dans leur état de motivation peuvent parfois cacher autre chose… A méditer.

 

J’aimerais remercier Pierre Perdriat avec qui j’ai pu débattre de cette thématique et qui m’a apporté un point de vue précieux sur la question.

Vous pourrez retrouver ici une série de postes Instagram de Thinkin’ sur cette même thématique ICI

 

Sources :
1 : Bandura, A. (1977). Self-efficacy: Toward a unifying theory of behavioral change. Psychological Review, 84(2), 191–215. https://doi.org/10.1037/0033-295X.84.2.191
2 : Andrew S. Self-efficacy as a predictor of academic performance in science. J Adv Nurs. 1998 Mar;27(3):596-603. doi: 10.1046/j.1365-2648.1998.00550.x. PMID: 9543047.
3 : Ventura M, Salanova M, Llorens S. Professional self-efficacy as a predictor of burnout and engagement: the role of challenge and hindrance demands. J Psychol. 2015 May-Aug;149(3-4):277-302. doi: 10.1080/00223980.2013.876380. Epub 2014 Apr 3. PMID: 25590343.
4: Bentsen SB, Wentzel-Larsen T, Henriksen AH, Rokne B, Wahl AK. Self-efficacy as a predictor of improvement in health status and overall quality of life in pulmonary rehabilitation–an exploratory study. Patient Educ Couns. 2010 Oct;81(1):5-13. doi: 10.1016/j.pec.2009.11.019. Epub 2010 Mar 31. PMID: 20356700.
5 : Peters, M., Potter, C.M., Kelly, L. et al. Self-efficacy and health-related quality of life: a cross-sectional study of primary care patients with multi-morbidity. Health Qual Life Outcomes 17, 37 (2019). https://doi.org/10.1186/s12955-019-1103-3
6 : Hirschey R, Bryant AL, Macek C, Battaglini C, Santacroce S, Courneya KS, Walker JS, Avishai A, Sheeran P. Predicting physical activity among cancer survivors: Meta-analytic path modeling of longitudinal studies. Health Psychol. 2020 Apr;39(4):269-280. doi: 10.1037/hea0000845. Epub 2020 Feb 3. PMID: 32011152; PMCID: PMC7203971.
7 : Náfrádi L, Nakamoto K, Schulz PJ. Is patient empowerment the key to promote adherence? A systematic review of the relationship between self-efficacy, health locus of control and medication adherence. PLoS One. 2017 Oct 17;12(10):e0186458. doi: 10.1371/journal.pone.0186458. PMID: 29040335; PMCID: PMC5645121.
8 : Raeder F, Karbach L, Struwe H, Margraf J, Zlomuzica A. Low Perceived Self-Efficacy Impedes Discriminative Fear Learning. Front Psychol. 2019;10:1191. Published 2019 Jun 18. doi:10.3389/fpsyg.2019.01191
9 : Williams DM, Rhodes RE. The confounded self-efficacy construct: conceptual analysis and recommendations for future research. Health Psychol Rev. 2016;10(2):113-128. doi:10.1080/17437199.2014.941998
Autres sources utiles :
https://nobaproject.com/modules/self-efficacy
https://www.cairn.info/revue-savoirs-2004-5-page-59.htm#