Je suis un kinésithérapeute libéral installé depuis 25 ans dans un village de 2500 habitants dans un département rural. Médecins, infirmières, kinés… chacun est installé avec ses confrères (cabinets de groupe mono-disciplinaire) et nos échanges se limitent à des rencontres fortuites chez nos patients, à des coups de fils quand des problèmes de prise en charge se présentent ou des courriers occasionnels.

Mon expérience m’a amené à constater à de nombreuses reprises nos discours contradictoires envers nos patients. Les uns conseillant tel dispositif, les autres tel mouvement… se heurtant parfois avec ma prise en charge rééducative. Je me disais qu’on devrait se rencontrer autour d’une pathologie afin de mieux comprendre la vision des uns et des autres, pour harmoniser nos discours et ne pas mettre en porte à faux un professionnel dans son traitement.

C’est au cours d’une conversation avec un médecin hors de mon secteur que j’ai eu le thème de cette première réunion : il m’a demandé si je savais pourquoi l’un des kinésithérapeutes de son secteur lui renvoyait systématiquement les patients afin qu’ils aient une radio, une IRM ou une échographie avant de commencer le traitement de rééducation. Forcément, ne connaissant pas ce kiné, je ne pouvais lui répondre mais je comprenais que les deux professionnels n’avaient pas la même vision des pathologies et que, par manque de communication, ils ne pouvaient pas se comprendre.

Lisant régulièrement les articles d’ActuKiné, j’étais assez conscient que l’IRM a pris ces dernières années une importance excessive dans le diagnostic des pathologies lombaires entraînant parfois nos patients dans des croyances délétères pour la récupération rapide de leurs problèmes. J’ai donc essayé de collecter une information scientifique fiable et de m’inscrire dans une démarche d’EBP pour préparer cette réunion.

Il existe dans mon village 18 professionnels de santé : 4 médecins regroupés, 5 infirmières et infirmiers également dans un seul cabinet, 2 pharmacies, 1 podologue, 3 dentistes et le cabinet de kiné (3). J’ai pu m’appuyer sur l’aide d’un médecin du groupe médical afin de convaincre les autres de participer à cette réunion. Les pharmaciens étaient ravis d’être associés à la démarche. Après discussion avec les dentistes, ils ne se sentaient pas concernés par le sujet et seule la podologue a décliné l’invitation. Sur les 15 personnes potentielles, nous étions 11 professionnels présents.

L’objectif de cette réunion était composite :
– Échanger sur un thème afin de mieux comprendre le point de vue, la problématique de chaque professionnel et notre complémentarité dans la prise en charge de nos patients ;
– Développer une connaissance commune afin d’harmoniser nos discours vis-à-vis du patient sans dénigrer la démarche des autres professionnels ;
– Prendre conscience des limites de l’imagerie dans le diagnostic des pathologies lombaires et de ses conséquences délétères possibles sur les croyances des patients ;
– Et aussi essayer de modifier l’image du kinésithérapeute : nous nous appuyons sur de la science validée, nous prenons en compte aussi les croyances de nos patients, l’éducation fait partie intégrante d’un traitement de rééducation, etc.

Je ne voulais surtout pas que la réunion prenne l’allure d’une formation, mais au contraire qu’elle soit très interactive afin que chacun s’exprime. J’ai donc commencé par demander aux infirmières si elles étaient parfois questionnées par des patients ayant passé une IRM lombaire ou par d’autres s’interrogeant du fait que leur médecin ne leur avait pas prescrit d’IRM… et la discussion a démarré.

De nombreux professionnels relevaient la demande importante d’IRM de la part des patients qui pensent que cet examen identifie la cause de leur mal de dos. Les médecins essayent de répondre à la demande des patients afin de les rassurer. Tout le monde s’accorde sur l’importance de cette imagerie… Puis un médecin m’a demandé mon opinion (je n’avais encore rien dit laissant les échanges se faire) : j’ai expliqué que je lisais le compte-rendu de l’IRM avec les patients et que je leur demandais ce que ça leur inspirait : ils me répondaient très souvent “ça fait peur !” Les médecins ont été surpris.

A partir de là, la discussion a changé, le discours était plus interrogatif sur l’importance de l’imagerie et j’ai pu glisser quelques documents (mais pas trop, je me suis volontairement limité) en fonction de l’évolution de nos échanges afin d’illustrer certains propos. Là aussi les médecins étaient surpris de voir que l’on pouvait raisonner en terme de sensibilité, spécificité, fiabilité, etc.

Nous nous sommes quittés sur l’idée d’aboutir à la réalisation d’un flyer d’information destiné aux patients afin de les rassurer sur les résultats de leur IRM ou de les informer préalablement à l’examen comme le préconisait une revue systématique présentée.

Au final, les participants étaient très satisfaits. Les infirmières ont pensé que le sujet était peut-être un peu éloigné de leur pratique quotidienne. Tous étaient partants pour une prochaine réunion.

Vous trouverez ci-dessous, les documents présentés lors de la réunion ainsi que le flyer élaboré pour l’information des patients.