Oh que ça faisait longtemps que je n’avais pas écrit comme ça ! Me revoilà ! Et dans ma besace, j’ai apporté une étude vachement sympa. Normalement, c’est la saison des ligaments croisés du ski et des entorses de chevilles des bonnes résolutions, alors j’avais envie d’en lire un peu sur la question ! Et je suis tombé sur un article assez récent (2016) publié dans l’American Journal of Sport Medicine par Doherty et al. :

“Recovery From a First-Time Lateral Ankle Sprain and the Predictors of Chronic Ankle Instability: A Prospective Cohort Analysis”

La base :

Là, vous allez me dire : “Mwai, des études sur l’instabilité chronique, on en voit pleins”. Oui, mais pas des études prospectives, c’est pas aussi vrai ! Et ouai ! (et en plus, elle suit globalement la checklist STROBE, youpi!)

Cette étude, du coup, examine les facteurs prédictifs de développer une instabilité chronique de cheville après une première entorse ! Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette publication renferme des surprises : on va voir ça ensemble. Avant tout, reposons les bases :

L’entorse de cheville, ça représente un bon paquet de consultations chaque année (notamment aux urgences : accès direct incoming ?). Qui dit un paquet de consultations, dit : un paquet de sous. La majorité des entorses de chevilles sont des entorses du ligament talofibulaire faisceau antérieur de la cheville (ou LLE pour certains, ou lig. collatéral antéro-latéral de la cheville, ou… bref il a plein de noms quoi !). Ca représente tout de même 73 % des entorses (et 25 % en médial) chez les sportifs [2]. Une première entorse est un facteur de risque majeur (x 3.5 environ) d’autres entorses de chevilles.

Petite vue 3D pour imager, c’est le numéro 5, et ouais, la modélisation est pas hyper précise, mais dans le cas présent : pas grave !

Ankle Anatomy
by as17345
on Sketchfab

L’instabilité chronique et notre étude

Parlons instabilité chronique à présent : et ce n’est pas simple. La définition même de ce qu’est l’instabilité chronique varie d’une publication à l’autre. Globalement, on comprendra qu’il s’agit d’une sensation d’instabilité anormale (d’autres parleront d’hyperlaxité constatée ou ressentie par exemple). En gardant à l’esprit cette variation de définition, certaines études rapportent jusqu’à 40 % d’instabilités chroniques constatées après une première entorse, à un an post entorse [2], avec une survenue plus fréquente chez les coureurs à pied, sauteurs et autres sportifs de pivots.
Pas facile de tracer une limite entre une entorse de cheville qui guérit et une autre qui se chronicise. Les symptômes s’étalant dans un continuum de temps. Encore moins dans une étude prospective ! Alors pour se dépatouilles, voici comment ont procédé nos chercheurs :

les patients (n=82) ayant subi une première entorse de cheville et n’ayant pas de facteurs d’exclusions (fractures, histoire traumatique ou chirurgicale récente, troubles neuro…) devaient répondre à des questionnaires (CAIT, FAAMad FAAMsport), et suivre des tâches de performances (SEBT, amplitudes actives de dorsiflexion, knee to wall test, sauts…) et des tâches biomécaniques (plateformes de force). Ces mesures ont été prises à différentes dates (+2 semaines, +6 et 12 mois).
Les chercheurs considéraient qu’un individu était atteint d’une instabilité chronique si son score CAIT à 12mois était inférieur à 24pts

J’en profite pour vous mettre un lien vers un pdf du CAIT ( qui a l’avantage d’être “validé” en français même si je n’ai pas réussi à mettre la main dessus)

Qu’ont-ils trouvé ?

 

 

A la fin de leur étude, plusieurs éléments se distinguent :

– les variables obtenues à 6 mois sont corrélées à celles obtenues à 12 mois
– les patients éprouvant des difficultés dans certains mouvements (que nous verrons après) présentaient jusqu’à 2 fois plus souvent des instabilités chroniques que les autres.
– Là où d’autres études pointaient que les patients atteints d’instabilités chroniques présentaient un déficit de performance au test SEBT face aux patients sains ou sans instabilité, les chercheurs ont fait une trouvaille intéressante. Le membre opposé, mais surtout le genou et la hanche voient leurs mouvements modifiés chez les patients atteints de formes qui deviendront chroniques. Si cette relation peut s’expliquer par un limitation d’amplitude de cheville qui se répercuterait sur les articulations proximales, elle laisse aussi (par son caractère bilatéral) une forte présomption que le contrôle moteur serait atteint globalement.
– Là où d’autres études (de design différent) soulignaient la différence de performance au SEBT chez les patients échouant au test “knee-wall”, cette relation n’est pas significative ici (bref, a priori pas de causalité ?)
l’incapacité à réaliser ou l’évitement complet de l’activité de saut avec atterrissage sur la cheville atteinte (drop landing) ou de saut vertical (toujours du même coté) était prédictive de développer une forme chronique (risque x2-3) dès 2 semaines post entorse. ce modèle proposait une belle sensibilité (0.8, mais une spécificité  modérée 0.55 – valeurs sans SD).

En quoi ces éléments sortent-ils de l’ordinaire donc ? Et bien les chercheurs soulignent le caractère bilatéral de l’atteinte (probablement de contrôle moteur) des chevilles certes, mais aussi des articulations des hanches (++) et genoux (+) propre aux patients chroniques. Ils suggèrent qu’une adaptation du traitement visant ces problèmes en présence de facteurs de risques de développer une forme d’instabilité chronique serait une piste d’étude pertinente !

Attention cependant, les analyses ont été faites sans information sur la gravité préalable d’entorse (pas de stade visible à l’IRM), ce genre de données pourrait modérer l’analyse statistique. Je noterai aussi que tout au long de l’étude, les comparaisons étaient effectuées en “odds ratios”, ne tenant pas compte de la prévalence dans la population générale de formes chroniques, notamment en raison de la diversité de définition de ce concept.

 

En clair, l’incapacité à sauter ou atterrir sur un pied à +2 semaines post-entorse est un facteur de risque important de développer une forme d’instabilité chronique de cheville. Cela nous permettrait d’orienter nos prises en soins très tôt au cours de la récupération de nos patients, peut être (je dis bien peut être) vers des traitements intéressants le contrôle moteur bilatéral des hanches et genoux.

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[1]Doherty C, Bleakley C, Hertel J, Caulfield B, Ryan J, Delahunt E. Recovery From a First-Time Lateral Ankle Sprain and the Predictors of Chronic Ankle Instability: A Prospective Cohort Analysis. Am J Sports Med. 2016 Apr;44(4):995-1003. doi: 10.1177/0363546516628870. Epub 2016 Feb 24. PMID: 26912285.

[2] Herzog MM, Kerr ZY, Marshall SW, Wikstrom EA. Epidemiology of Ankle Sprains and Chronic Ankle Instability. J Athl Train. 2019;54(6):603-610. doi:10.4085/1062-6050-447-17

[3] Geerinck, A., Beaudart, C., Salvan, Q., Van Beveren, J., D’Hooghe, P., Bruyère, O., & Kaux, J.-F. (2019). French translation and validation of the Cumberland Ankle Instability Tool, an instrument for measuring functional ankle instability. Foot and Ankle Surgery. doi:10.1016/j.fas.2019.05.002